monte-sac

«la jate al sirôpe» (tasse à sirop)

Qu’est ce que j’en ai mangé du sirop !

A chaque fois que l’on me demandait : «Qu’estce que tu veux sur ta tartine ?» ; invariablement

je répondais : «...du sirop !».

De temps à autre, mes parents me «forçaient» à manger autre chose... mais j’avais trouvé l’astuce pour ne pas me priver de ma friandise préférée.

Je répondais alors : «Je veux bien du fromage (de Herve) avec du sirop», ou encore «... une tartine de maquée avec du sirop «(stron d’ poye). J’ai même mangé des tartines de saindoux (graisse de porc fondue) avec du sirop évidemment.

Le sirop était servi à table dans un récipient bien particulier réservé à cet effet. Il s’agissait de «la jate al sirôpe» (tasse à sirop). C’était une grande tasse en faïence bicolore (voir photo) ocrecrème à l’intérieur et brun foncé à l‘extérieur ; son diamètre était d’environ 15 cm et la contenance de plus ou moins un demi-litre. Avant d’y plonger le couteau, la surface du sirop était bien lisse et reluisante et on pouvait même y voir le reflet de la lame juste au moment d’y pénétrer.

Comme j’avais souvent tendance à charger exagérément mon couteau, j’étais obligé de lever mon bras bien haut afin que le fil se détache de la tasse. Il fallait aller vite pour effectuer la translation au risque de voir la «nokète» (la petite masse de sirop) s’écraser entre la tasse et la tartine.

Par plaisir, je laissais couler lentement le filet de sirop sur ma tartine en y dessinant des arabesques puis je l’étendais uniformément et enfin j’essuyais l’excédent sur le bord de la «jate». Il n’était pas rare que des traces sirupeuses marquaient le chemin tasse-tartine-bouche.

Comme la table était pavée, avec mon index j’essuyais le précieux liquide que je m’empressais. «di ralètchî» (de lécher plusieurs fois).

Quand j’avais fini de manger, j’étais tout «d’Iâboré» (barbouillé) ; j’en avais sur le menton, aux commissures des lèvres et même sur le nez. Pas étonnant que j’étais la risée de la tablée.

Au repas de midi, il n’était pas question de sirop ; je mangeais de tout sans rechigner (soupe, patates, viande, légumes… de toutes sortes) ; néanmoins mon menu préféré était «Les boulettes-frites-salade». Vous l’avez compris, il s’agissait des boulettes de viande à la liégeoise, celles que ma grand-mère avait préparées avec des «corintènes» (raisins secs de Corinthe) et du sirop.

«Hmm..., comme c’était bon !»

Quand la tasse était vide, elle était lavée puis réapprovisionnée à la réserve (tonneau en bois d’environ 10litres). C’est mon grand père qui, le plus souvent procédait à cette opération délicate.

Avec lenteur et délicatesse, il enfonçait une grande cuillère en bois en tournant afin que la masse sirupeuse reste bien agglutinée à la cuillère puis il la déposait à la verticale au fond de la tasse ensuite à l’aide d’un couteau, il raclait minutieusement l’ustensile. Deux ou trois cuillerées suffisaient à remplir la tasse. L’opération terminée, il essuyait la lame sur le bord de la tasse et refermait le tonneau sans avoir rien «plaqué».

Addenda : Parfois certaines ménagères se rendaient chez l’épicier avec leur «jate al sirôpe» pour y acheter du sirop en vrac. La tasse était alors tarée puis remplie à la manière de mon grand père. Un papier cellophane maintenu par un élastique fermait la tasse qu’il fallait poser bien verticalement au fond du cabas (panier de forme arrondie en paille tressée).

Plusieurs modèles de tasses à sirop sont visibles au Musée de la Fourche et de la Vie rurale.

Joseph Andrien

print Paru dans le n° 385 de urlBlegny Initiatives du 25 mars 2008

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien