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Le scapulaire

Je n'aimais pas être malade, savez vous moi!

Certes, d'aucuns pourraient dire la même chose... Et pourtant, j'en ai connu qui aimaient se plaindre voire même se vanter d'être ou d'avoir été malades. J'en ai même connu qui jouaient au faux malade pour ne pas aller à l'école.

Le premier diagnostic était le plus souvent établi par ma grand-mère. Si mes joues rouges, ou mes yeux larmoyants ou encore une toux intempestive... venaient à attirer son attention, la réaction ne se faisait pas attendre. - « Viens un peu ici! »

Du revers de la main, elle me tâtait les joues et puis le front.

D'un tube métallique brillant, pris de l'armoire à pharmacie, elle retirait un thermomètre avec délicatesse. Le tenant comme un stylo, elle le secouait comme pour en faire sortir de l'encre. (Je compris bien plus tard que ce geste avait pour but de ramener la colonne de mercure dans son réservoir).

- « Attention, c'est fragile, ne bouge pas! » me disait-elle, en me glissant l'instrument sous le bras.

Conclusion après 3 minutes: « Tu es malade! ».

Un lit de fortune était alors improvisé dans la cuisine. Des chaises en quinconce étaient placées juste à côté de la cuisinière, un grand traversin allait servir de matelas, un drap de lit, une grosse couverture, un coussin,... et voilà.

Debout sur une chaise non loin du poêle, j'étais alors dévêtu puis lavé de la tête aux pieds... Ma robe de chambre à peine enfilée, je devais me coucher sans permission de bouger.

Puis, l'attente du docteur.

Celui-là me faisait peur. A peine entré, c'est à moi qu'il en avait... « Ouvre la bouche. Tire la langue. Fais Aahhh... ».

Et que je te tire sur la paupière inférieure, et que je te tâte sous les oreilles, et que je te palpe sous les bras... - « Soulève ta chemise! ».

Puis ouvrant sa sacoche, il en ressortait ses écouteurs et son micro tout froid (stéthoscope) qu'il me posait sur la poitrine. Sans mot dire, il regardait sa montre. - « Respire fort! Tourne- toi! Tousse ...»

Puis, c'est mon ventre qu'il allait pétrir ou malaxer avec plus ou moins de force. - « Ça te fait mal ? Et ici? Et comme ça ? »

Pendant tout l'examen, le regard dans le vague, le front plissé, il semblait s'interroger. Le nez aquilin, les yeux perçants grossis par de grosses lunettes, le visage placide, il s'adressait à moi :

- « C'est l'affaire de quelques jours, prends bien tes médicaments ».

Assis au coin de la table, il rédigeait alors la liste des médicaments à prendre et sur un autre papier la dispense d'aller à l'école.

Tous aussi mauvais les uns que les autres, ces médicaments... Pouah!

Et comme si cela n'était pas suffisant, on me badigeonnait les amygdales avec du bleu de méthylène; ça me chatouillait, me donnait le haut-le-cœur... J'avais envie de vomir.

Et le « stout » donc, dans lequel on avait incorporé un œuf à peine battu, que je devais boire pour me donner des forces... Beurk !

L'ouate poivrée dite thermogène avait des vertus chauffantes... jusqu'à me brûler la peau. Ouille!

L'huile de foie de morue est pleine de vitamines, me disait-on. La tête penchée en arrière, on me pinçait le nez et l'on me versait une grande cuillère à soupe et cela plusieurs fois par jour... Au secours!

Cette fois, je n'avais pas de problèmes de constipation. Ouf! Car c'est la canule (photo) que je redoutais par-dessous tout. Cela me blessait dans mon corps, dans mon cœur, dans mon âme. Alors que je subissais stoïquement les traitements précédents, la canule m'arrachait des larmes qui coulaient silencieusement sans même que je fis la moindre grimace.

Non! Je n'aimais pas être malade! Je préférais aller à l'école.

Mes grands-parents étaient certes animés de bonnes intentions, tous les moyens étaient bons pour que je guérisse. Si d'aventure un mal poitrinaire venait à perdurer, c'est au scapulaire (à voir au musée) qu'ils avaient parfois recours. J'avais perdu mon papa d'une maladie pulmonaire. Ils en avaient été très affectés.

Non! Je n'aimais pas être malade, mais j'aimais beaucoup ma famille.

Joseph Andrien

print Paru dans le n° 393 de urlBlegny Initiatives du 16 déc 2008

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien