Les cafetières

Les cafetières

Assise dans son voltaire, ma grand-mère pressa simultanément, de ses deux index, les poussoirs placés sous les accoudoirs. Raidissant la nuque, la tête en extension, elle appuya délicatement sur le dossier du fauteuil pour en régler l’inclinaison. Semi-allongée, les pieds joints posés sur un passet de bois capitonné, elle joignit les mains sur son tablier de toile bleue tramé de petits carrés blancs et égrena son chapelet tout en fermant les yeux.

C’était toujours elle qui était levée la première! Aussi, après une longue matinée de labeur, après le repas de midi, la vaisselle, le rangement et le nettoyage de la cuisine, elle faisait une sieste dans un silence que tout le monde respectait.

Mon grand-père veillait toujours à ne pas déranger son sommeil et à le faire respecter de ses petits- enfants. Sans même dire « chut », son index posé devant les lèvres, puis sa tête inclinée dans la paume de sa main à la manière d’un coussin, il nous enjoignait d’être calmes et silencieux, puis partait sur la pointe des pieds.

La plupart du temps, c’est au jardin qu’il allait travailler.

Sur la cuisinière pavée de rosaces en faïence verte, il y avait toujours deux cafetières en émail blanc uni. Mes grands-parents étaient des « caf’teûs » (buveurs de café). Quand une cafetière était à moitié vide, l’autre était aussitôt remplie, il n’y avait donc jamais de pénurie.

Un jour, de retour du jardin, affamé autant qu’assoiffé, mon grand-père voulut se servir d’emblée « eune bone grande jate di tchôd cafè » (une bonne grande tasse de café chaud). Il saisit une cafetière qu’il rejeta brusquement et bruyamment sur la taque de la cuisinière, s’exclamant avec un ton de reproches: « Dju, i n’a n’in des cafè, chal! » (Nom de Dieu, il n’y a pas de café, ici !).

Ma grand-mère, réveillée en sursaut, vexée par ces propos diffamants, bondit de son fauteuil et très en colère se dirigea vers la cuisinière. Elle empoigna l’autre cafetière restée invisible aux yeux de mon grand-père et se mit à la vider par terre en dessinant des zigzags brunâtres et fumants tout en s’exclamant: « Ah, i n’a n’in dè cafè, chal ! ..., ah,i n’a n’in dè cafè, chal!... ».

Puis, la cafetière vide, elle la rejeta brusquement et bruyamment sur la taque de la cuisinière. Elle disparut aussitôt.

Mon grand-père, ébahi et pantois, assista confus à la scène; bredouillant: « Mais Rosalie..., mais Rosalie... ».

Le calme revenu, grand-papa se mit à « renettoyer » méthodiquement le carrelage ocre et noir de la cuisine. Il refit deux cafetières de café additionné d’un peu de chicorée.

Enfin attablé, il se mit à manger les tartines de jambon que grand-maman, prévenante, lui avait gentiment préparées.

Ce jour-là, on ne parla plus.

Préparation du café:

print Verser quelques cuillerées de café moulu au fond de la cafetière, ajouter quelques grains de chicorée; verser progressivement l’eau bouillante en veillant qu’il n’y ait pas de débordements par le bec verseur. Tapoter le bord de la cafetière afin de faire « tomber» les marcs en suspension au fond de la cafetière. Remplir une première tasse, très lentement, car un bouchon a pu se former; reverser le contenu de la première tasse, délicatement dans la cafetière.

J.Andrien.

Mais d’où vient l’expression " jus de chaussette ", une visite au musée s'impose.

print Paru dans le n° 398 de urlBlegny Initiatives du 26 mai 2009

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien