La pièce de cinq centimes enrubannée

La pièce de cinq centimes enrubannée

C’était toujours mon frère, ainé de trois ans, qui me mettait dans la confidence: «Aujourd’hui, il y a un baptême ... mais chut!»,

Comment le savait-il?

L’avait-il lu sur le panneau d’affichage au porche de l’église? Les acolytes, dont il faisait partie, avaient-ils partagé ou trahi le secret? La fille de l’accoucheuse lui avait-elle chuchoté à l’oreille? L’essentiel était que l’on ne soit pas trop nombreux à la savoir ..

Lorsqu’un enfant naissait, il fallait envisager son baptême de toute urgence, vu les risques importants de mortalité des nouveaux-nés. La plupart du temps, c’est à la maison que l’accouchement avait lieu.

Dans les trois jours qui suivaient l’enfantement, quel que soit le temps, le bébé généralement porté par la sage femme accompagnée du père, de la fratrie, de quelques membres de la famille mais surtout de la marraine et du parrain prenaient le chemin de l’église.

La maman n’était jamais présente à cette célébration car elle devait rester alitée pendant neuf jours; puis, relevée de ses couches, elle « devait » se faire purifier lors d’une cérémonie appelée les relevailles.

Discrètement et sans bruit, mon frère et moi en compagnie de quelques autres assistions aux divers rituels pratiqués dans l’enceinte des fonds baptismaux. Notre objectif principal à ce moment était de repérer le parrain et de jauger de visu le volume de ses poches.

Lorsqu’enfin le prêtre congratulait la petite assemblée et que l’on procédait à quelques formalités administratives, c’était le moment pour nous de quitter l’église.

Sur le parvis, placé en arc de cercle, les garçons faisaient barrage...

Dès l’apparition de la marraine et du parrain, ceux-ci étaient harcelés d’invectives traditionnelles: « Pèlé pârin! Pèlêye mârène!*» répétées à tue-tête. [Littéralement: Pelé parrain! Pelée marraine! Mais dont le sens ici évoque des personnes de mise prétentieuse et qui se montrent chiches, radines.]

La réaction ne se faisait pas attendre. Le parrain amusé puisait alors dans ses poches des poignées de monnaies qu’il jetait à la volée sur le sol caillouteux.

Puis c’était la ruée pour mettre au plus vite la main sur une ou plusieurs piécettes. A nouveau, les cris reprenaient de plus belle. « Pèlé pârinl Pèlêye mârène ».

Les pluies d’argent se succédant à un rythme soutenu engendraient des bousculades dans une pagaille indescriptible mais toujours empreinte de plaisir et de bonne humeur.

Chacun de nous tenait à garder les poings fermés sur le butin de cette manne.

Les égratignures aux mains, les ecchymoses aux genoux ne nous faisaient pas mal, quant aux « pourcês » (hématomes protubérants) provoqués par le heurt de nos têtes, nous les frottions du poing ou les écrasions avec une de nos pièces.

Les mains tendues, les poches retroussées, le parrain nous faisait comprendre qu’il n’avait plus rien pour nous. A la fois déçus et contents nous faisions place au convoi jusque là bloqué sans oublier de crier « Merci pârin! Merci mârène! » mais alors moins fort pour ne pas effrayer le bébé.

Cette fois, nous n’étions pas trop nombreux et la recette n’en était que plus bénéfique mais comme j’étais le plus petit, et que je ne faisais pas le poids mon butin était très inférieur à celui des autres...

Alors mon frère généreux veillait à compléter mon capital afin que moi aussi, je puisse courir à la boutique « Chez Madame Jeanne » pour m’acheter de belles et bonnes sucettes rouges.

Aux proches de la famille, une pièce de cinq centimes nouée d’un ruban rose ou blanc était offerte en souvenir ainsi que des dragées placées dans des cornets ou rangées de belles boites parfois richement décorées (photo).

Joseph Andrien

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print Paru dans le n° 400 de urlBlegny Initiatives du 25 août 2009

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