La chocolatière

La chocolatière

C’est à l’entrée de la cave, sur une étagère fixée sous les premiers escaliers montant à l’étage, que l’on rangeait le chocolat. A « l’inte-deûs « (l’entre deux) disait-on.

Vu ma petite taille, cet endroit m’était difficilement accessible.

Ma grand-mère descendait alors quelques marches; s’appuyait de la main gauche sur la rampe, puis s’étendant sur la pointe des pieds, elle saisissait de la main droite une caisse en carton kaki très paraffinée. (Je crois me souvenir que ce contenant avait servi pour le transport transatlantique de denrées alimentaires pour les soldats américains durant la guerre).

Délicatement elle en retirait un gros bloc de chocolat enveloppé dans du papier argenté qu’elle dépliait avec beaucoup de précautions pour ne pas le déchirer, car il devait resservir pour le remballage.

Avec un grand couteau à large lame pansue qu’elle tenait fermement d’une main, elle allait imprimer un mouvement d’oscillation en appuyant fortement avec la paume de son autre main sur le dos de la lame dans le but de prélever un morceau du bloc puis de l’émincer en petits copeaux. Le bloc de chocolat légèrement grisaillé, laissant maintenant apparaître un côté noir et brillant, était alors réemballé dans le papier argenté « relissé » soigneusement.

D’une boîte métallique fermée hermétiquement on retirait une certaine quantité de sucre candi. Il s’agissait de sucre de canne se présentant sous forme de cristaux brunâtres agglutinés sur une ficelle.

C’est moi qui avais la tâche de concasser finement le sucre pour en faciliter la fonte; cette opération s’effectuait dans un mortier en cuivre jaune à l’aide d’un pilon de même métal.

A l’aide d’un entonnoir confectionné avec une feuille de papier roulée en cornet, brisures de chocolat et sucre «semoule » étaient alors versés au fond de la chocolatière; ensuite le lait bouillant était incorporé avec les ingrédients.

C’était ma grand-mère qui procédait à ces opérations dangereuses.

Le manche du moussoir, plongé dans le lait, dépassait du couvercle par un trou central prévu à cet effet (voir photo).

Imprimant un mouvement de va-et-vient au moussoir en actionnant le manche coincé entre les paumes des mains... elle allait accélérer le processus de dilution du chocolat et du sucre, mais aussi homogénéiser le mélange.

Ine bonne copète di tchôd chôcolàt ! C’est bon! (Un bon petit bol de chocolat chaud).

Je m’en pourléchais les babines sans pour autant effacer mes larges moustaches cacaotées.

Joseph Andrien

print Paru dans le n° 410 de urlBlegny Initiatives du 29 juin 2010

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