Le monte-sac

Le monte-sac

De la fenêtre du deuxième étage, j’avais une vue plongeante sur le moulin situé en contrebas. J’observais attentivement la fourmilière.

Dès qu’un attelage arrivait, aussitôt la charretée était prise d’assaut par une équipe de débardeurs. Endossant les sacs à tour de rôle, ils les conduisaient au pied de l’élévateur. D’un mouvement de rotation particulier, ils déposaient leur lourde charge avec force, mais aussi retenue et délicatesse afin de ne pas faire éclater le sac de jute.

A l’aide du monte-sac (photo), ils pinçaient alors l’endroit du sac où les bords rejoints avaient été ligaturés en vue de la fermeture du contenant. Par un système de pince en ciseaux, le maintien était assuré par le propre poids du sac; ainsi suspendu, il pouvait dès lors être emporté à l’étage souhaité.

Là, une autre équipe, aidée de diables (à voir au musée), emportait les marchandises à l’endroit prévu...

Quelquefois c’était l’inverse, les sacs quittaient le moulin pour être chargés dans la benne d’un camion ou sur un char...

Cette fois, le porteur était aidé par un collègue pour amener la charge sur son dos. Arrivé près du véhicule, il faisait une rotation et se délestait de son fardeau se trouvant à bonne hauteur par rapport au plancher.

L’ouvrier solitaire disposait quelquefois d’un appareil à crémaillère (à voir au musée) qui lui permettait d’amener le sac à hauteur d’homme avant de s’en saisir sur le dos

Mon voisin, Monsieur AI. C., sympathisant du musée, lequel a véhiculé des tonnes et des tonnes de produits émanant principalement des moulins, me certifiait qu’au cours de sa longue carrière il n’avait jamais dû porter des sacs de plus de 50 kg. Certes, il y avait des sacs très volumineux (paillettes, son,...) mais pas pour autant plus pesants.

Et pourtant, sans mettre en doute la parole de quiconque, d’aucuns m’ont certifié qu’ils avaient porté des sacs de 100 kg. Alors ???

Le saviez-vous?

Le porteur de sacs faisait partie d’un des 32 bons métiers de la cité de Liège. Jusqu’en 1850, il fallait impérativement faire appel à ses services pour le transport (par sacs).

Edouard Remouchamps a relaté quelques particularités de ce métier :

Pour être admis dans la corporation, il fallait appartenir à la famille d’un de ses membres et être âgé de vingt et un ans. On ne pouvait porter avant cet âge, à moins d’avoir fait tchîf-d’oûve (chef-d’oeuvre), c-à-d avoir subi l’épreuve suivante:

Le portefaix prenait au rivage de la Goffe (légèrement en aval du Pont des Arches) un sac pesant 104 kg et via les degrés St-Pierre (aujourd’hui disparus) aboutir à la fontaine du Mont-Saint-Martin, dont il devait faire trois fois le tour avant de déposer son fardeau. Pendant ce trajet, il lui était permis de s’arrêter pour se reposer, mais en conservant le sac sur l’épaule.

L’épreuve avait lieu sous la surveillance de plusieurs portefaix et d’un policier.

(Extrait de « Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne » Juil.-Déc. 1928)

Joseph Andrien

print Paru dans le n° 413 de urlBlegny Initiatives du 26 oct 2010

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