Le fer aux Nûles

Le fer aux « Nûles »

Il était tard, après la dernière séance de cinéma...

En compagnie de quelques membres de ma famille, j’étais assis à la fenêtre d’un café, occupé à déguster une limonade. Nous avions un peu de temps avant d’aller prendre le train.

De mon poste d’observation, je regardais les gens défiler dans tous les sens.

C’était au moment des fêtes de Noël et Nouvel- An. Les vitrines des magasins étaient richement décorées, de nombreuses guirlandes ornaient les façades et illuminaient les ciels de rue.

Mon attention fut attirée par un drôle de stratagème.

A l’encoignure d’une porte un homme pauvrement vêtu semblait se cacher. De temps à autre, un enfant se dirigeait vers lui et lui glissait de la monnaie qu’il enfouissait directement dans sa poche.

Il ouvrait alors un sachet et leur tendait « de petits papiers blancs » ; puis d’un geste de la main les enjoignait de prendre telle ou telle direction.

Mais que manigançaient-ils?

Je n’allais pas tarder à comprendre...

Quelques instants plus tard, je vis un petit garçon se présenter à notre table.

Le visage angélique, crotté par un nez mal torché, les cheveux longs et hirsutes, vêtu de guenilles peu chaudes pour la saison malgré la grosse écharpe autour du cou, il nous présenta une hostie mal découpée...

J’ai oublié la formule précise qu’il employait mais de toute évidence, des bons voeux qu’il souhaitait, il attendait quelqu’argent. Attendri par le charme de l’enfant et aussi par la pitié qu’il suscitait, mon frère aîné se saisit de l’hostie et lui donna une « dringuèle » (que l’on pourrait traduire ici par une « obole » pour l’enfant et indirectement par un « pourboire » voire encore plus adéquatement par un « pour boire » pour l’homme de l’ombre).

Le poing aussitôt refermé, un merci à peine esquissé, il nous quittait pour s’adresser à la table voisine.

Je le reconnus quelques instants plus tard lorsqu’il se rendit à l’encoignure de la porte. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’une tradition au pays de Liège et ailleurs peut-être. Que l’hostie non consacrée appelée « nûle » qu’on se voyait « offrir » entre Noël et Nouvel-an avait valeur de protection, de talisman...

Cette hostie était alors placée au dos de la porte d’entrée de la maison ou sur le manteau de la cheminée, voire encore conservée dans son portefeuille.

La mendicité ayant été interdite (quoique) ainsi que l’exploitation mercantile des enfants mineurs (quoique), cette pratique tomba en désuétude.

Joseph Andrien.

print Paru dans le n° 415 de urlBlegny Initiatives du 21 déc 2010

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien