Le crucifix de cheminée

Le crucifix de cheminée (Li bon-Diu d’jîvâ)

Une chambre inoccupée avait été réquisitionnée par l’armée allemande et pas question d’opposer résistance !

Deux soldats s’y rendaient en fin de journée pour y passer la nuit.

Henri, le seul homme de la maison, mobilisé au début de la guerre, avait dû quitter sa mère veuve et ses deux soeurs rhumatisantes.

Souvent, le soir, les soldats désoeuvrés quittaient leur chambre pour descendre dans la cuisine pour s’y réchauffer et peut-être échanger quelques paroles.

Bon gré mal gré, les femmes polies mais à peine courtoises répondaient du bout des lèvres à leurs sollicitations. Elles prétextaient vite une journée harassante pour prendre congé de leurs hôtes forcés et se réfugier dans leurs chambres.

Ce soir-là, toutes les trois étaient agenouillées devant la cuisinière, face au crucifix de porcelaine (photo), dévidant un chapelet en alternant leurs murmures.

Elles avaient entendu les soldats descendre comme à l’accoutumée... Elles feignirent de ne pas les voir et continuèrent leurs litanies.

Cela faisait un bout de temps qu’elles ressentaient leur présence plus ou moins silencieuse.

Les paroles échangées à mi-voix avaient fait place à des chuchotements qui s’apparentaient aux murmures des « priyeûses » (femmes en prière).

L’une d’elles, poussée par la curiosité, se retourna pour constater ce que les occupants manigançaient. Stupéfaction!

Les hommes, un peu en retrait, étaient eux aussi agenouillés et priaient dans la même direction. Elle interrompit sa prière,se leva et esquissa un salut respectueux... Les deux autres filles firent de même.

Dans un français approximatif mais néanmoins compréhensible, un soldat prit la parole: - Je suis sûr que vous priez pour votre fils ou frère déporté en Allemagne...

Sans mot dire, d’un signe de la tête elles firent comprendre qu’il en était bien ainsi. Alors, le soldat de poursuivre :

- Nous pensons, que là-bas dans notre village de Bavière notre maman, elle aussi, prie pour nous. J’espère que nous pourrons bientôt revivre paisiblement chacun dans nos familles.

Peu de temps après, les mouvements de troupes obligèrent les soldats à quitter précipitamment la maison devenue, depuis, quelque peu plus hospitalière.

Derrière les carreaux et sans trop d’ostentation elles firent un signe d’au revoir aux soldats... (et pourtant, des « uhlands » appelés également « hussards de la mort »).

Les autres soirs, agenouillées devant Li bon- Diu djîvâ (Le crucifix de cheminée), elles ne pouvaient s’empêcher d’associer leurs exlogeurs de passage dans leurs intentions de prière.

Il n’y a pas si longtemps, presque la totalité des maisons possédaient un crucifix de cheminée en cuivre (photo) souvent flanqué de deux bougeoirs de même texture. Durant les guerres les objets de cuivre étaient confisqués pour en faire des projectiles; aussi, dans la mesure du possible, ils étaient cachés (et dans ce cas-ci remplacés par un crucifix de porcelaine). Ce crucifix était toujours le premier objet qui prenait place lors d’un emménagement dans une nouvelle demeure afin de protéger celle-ci.

Aujourd’hui, n’ayant plus la même valeur de dévotion, les crucifix désertent progressivement les tablettes de nos cheminées...

Joseph Andrien.

print Paru dans le n° 416 de urlBlegny Initiatives du 25 jan 2011

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