Le fouet miracle

Le fouet miracle

Ce soir, visite inopinée du professeur Lauwens, ancien compagnon universitaire de mon oncle...

Il viendra souper.

Au pied levé, il faudra préparer le repas.

Mais voilà ! Ma grand-mère avait un panaris à l’index de la main droite et se trouvait, de ce fait, fort handicapée dans les diverses manipulations que nécessitait la préparation du repas.

Oh certes ! Mon grand-père ne refusait pas de donner un coup de main, mais jamais il ne peaufinait les plats; incapable d’assaisonner, de réaliser une sauce ni même de faire une simple mayonnaise...

Il dût néanmoins s’y soumettre.

Ma grand-mère lui dictait les différentes opérations à suivre. - « Prends un oeuf. Casse la coquille avec la fourchette. Divise délicatement la coquille en deux et sépare le jaune du blanc en reversant alternativement le jaune dans chaque demi-coquille afin de ne garder que le jaune... ».

Ca commençait mal. Le coup de fourchette donné trop fort avait atteint le jaune. De ses gros doigts, il avait tendance à écraser les demicoquilles.

La séparation des deux éléments de l’oeuf n’était pas nette.

Le jaune (impur) additionné d’une « nokète » (petite masse) de moutarde devait être battu en y incorporant très progressivement l’huile...

Le mouvement était trop lent et pas assez énergique.

Ma grand-mère un peu impatiente agita la poupée de son doigt comme pour indiquer le bon rythme.

- « Aie ! Aie ! ». Elle eut tôt fait de replacer sa main en bandoulière.

Mon grand père s’énervait. Une goutte sur la table, une tache sur sa chemise, une coulure sur le mur, des spiteûres tot-avå (des éclaboussures partout).

- « Dju... no di dju ! ».

La mayonnaise ne prend pas.

Reprenant son calme, ma grandmère lui enjoint de recommencer l’opération avec un nouvel oeuf...

Mais redju, re no di dju, cint millards di no di dju. - « Tu mets trop d’huile à la fois... »

Dépité par ses échecs successifs, il repoussa l’assiette et quitta la cuisine en maugréant.

Au souper, la salade fut servie à la vinaigrette. Adroitement, ma grandmère avait su tirer parti de la pseudo- mayonnaise en y ajoutant vinaigre et épices aromatiques.

Quelques jours plus tard, un colporteur harnaché d’une multitude d’objets se présenta à la porte.

- « Bonjour Médème , permettezmoi... » dit-il d’un ton poli, mais pincé.

Ma grand-mère refusa, en bloc, toute proposition du marchand.

Mais celui-ci savait y faire et revenait aimablement à la charge avec insistance et persuasion, sachant distraire, amuser tout en captant l’attention.

- « Médème, connaissez-vous le nouveau fouet miracle pour ne jamais rater une mayonnaise? »

Ma grand-mère fronça les sourcils. Cette mimique n’échappa pas au camelot qui redoubla d’arguments:

- « Regardez attentivement, Médème, ce fouet est doté d’un petit réservoir à huile muni d’un régulateur de débit. Au début l’huile est dispensée très lentement ce qui assure une prise rapide et ferme de notre mayonnaise. De plus, cet appareil est en réclame et ne coûte que ... ».

Ma grand-mère finit par ouvrir son porte-monnaie.

- >« Merci, Médème , faites-en bon usage Médème, au revoir Médème... »

Si l’appareil fonctionnait bien, l’entretien en était très difficile. Le réservoir n’avait qu’une très petite ouverture. Le lavage et le rinçage n’était pas facile et on risquait des résidus d’huile rancie ou d’eau savonneuse...

L’ustensile stagna longtemps au fond d’un tiroir. Et voilà comment, après quelques année, un panaris amena un fouet magique au musée.

Joseph Andrien.

print Paru dans le n° 417 de urlBlegny Initiatives du 22 fév 2011

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien