Le silex troué

La machine à lessiver

Pouah ! Que cela sentait mauvais!

Sur la cuisinière, dans un grand chaudron en galvanisé, mijotait le linge sale de la quinzaine...

De temps en temps, ma grand-mère, à l’aide d’une longue spatule de bois, touillait dans le linge qui avait été préalablement enduit de savon noir. Les bouillons savonneux venaient s’éclater à la surface, formant une écume jaunâtre qui menaçait de déborder à tout instant.

Juste à côté du chaudron, la casserole contenant le repas de midi...

Le fumet de la potée aux carottes d’habitude si al-léchant était annihilé par l’odeur âcre de la «buée» (de l’ancien français buée : lessive).

Ah ! Cette odeur !

Impossible d’apprécier ce dîner à sa juste valeur...

Pas de temps à perdre, le repas «expédié», il fallait se remettre au travail.

Transférer le linge dans la machine était la tâche effectuée par mon grand- père.

A l’aide d’une pince en bois, le linge était méthodiquement «lité» sur le fond cannelé du tonneau. Un large piston multi perforé épousant la dimension de la cuve était alors posé sur le linge et fixé statiquement.

A l’aide de la poignée fixée sur le bord, on imprimait un mouvement semi-cir-culaire de va-et-vient qui avait pour effet de faire monter, puis descendre le ton-neau. Le linge de ce fait était alors comprimé contre le piston puis déprimé dans un bruit de fritch-fratch produisant une mousse hyper abondante.

Mon grand père, taquin et gouailleur, me lançait de grosses poignées de mousse qui restaient agglutinées à mes cheveux ou sur mes vêtements; la réciproque ne se faisait pas attendre... Il s’ensuivait des joutes burlesques et amusantes ponc-tuées par des rires et des cris de joie.

Les excès d’exubérance bruyante allaient se terminer par l’intervention de ma grand-mère invectivant et haranguant mon grand-père qui, bien que continuant à rire se remettait au travail, laissant la mousse tranquille. Se tournant vers moi, il me faisait un gros clin d’œil complice.

L’eau savonneuse vidée était remplacée par de la nouvelle eau fraîche pour pro-céder au rinçage du linge. Puis «rebelote» ! Ré-actionner la machine manuelle-ment... Encouragé par des chansonnettes, je participais tant bien que mal et à la mesure de mon possible à ces opérations.

Le linge, après calandrage, était amené au jardin pour y être suspendu aux cordes à linge, voire étendu sur l’herbe et même parfois sur les légumes.

Durant toute l’après-midi, la brise et le soleil allaient faire leur oeuvre...

Le soir, avant la brume du crépuscule, le linge allégé était entassé dans des mannes d’osier.

Il sentait bon le propre, il sentait bon le frais. Quel agréable parfum !

Demain, c’est jour de repassage, mais c’est une autre histoire.

J. Andrien

print Paru dans le n° 422 de urlBlegny Initiatives du 23 août 2011

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien