Le silex troué

Le vase de «Delft

Pour des raisons pratiques, mon lit avait été placé au rez-de-chaussée juste près de la fenêtre donnant sur la rue.

A ceux qui venaient me rendre visite, je pouvais leur passer la clé de la maison sans quitter mon lit, car cela m’était in-terdit.

De la fenêtre, je pouvais de temps à autre me distraire en regardant les gens passer dans la rue et inversement; ceux-ci intrigués me faisaient parfois un petit salut ou un geste amical.

Un jour, un petit garçon, que je ne connaissais pas, se hissa sur l’appui de fenêtre...

- Je t’ai vu les autres jours!
- Pourquoi tu es toujours dans ton lit ?
- Tu ne sais pas marcher ?
- Tu as mal ?
- C’est quand que tu vas guérir ?
- Tu es triste ?

Je répondis gentiment et avec précision à chacune de ses questions.

Puis comme il était apparu, il disparut sans préambule ...

- Au revoir hein !

Quelques jours plus tard, alors que je rêvassais,le regard lointain, subitement, je vis apparaître la tête souriante du petit garçon auréolée de soleil. C’est qu’il faisait beau, ce jour-là!

- Aujourd’hui, je suis allé me promener et j’ai pensé à toi !

Il me tendit un bouquet de fleurs cham-pêtres...

A peine eus-je le temps de dire « merci » que le petit garçon avait déjà disparu.

- Au revoir hein !

Les tiges courbées étaient encore em-preintes de la chaleur de sa main, les corolles baissaient leurs têtes et moi j’avais les larmes aux yeux...

Je pris grand soin du bouquet pour le garder le plus longtemps possible; et même lorsqu’elles furent fanées, je les conservai dans un livre de chevet à la manière d’un herbier.

Puis le temps a passé ... ; j’ai retrou-vé la santé...; j’ ai déménagé ...; j’ai changé de mode de vie; le vase s’est cassé et « l’herbier » s’est égaré...

Plus jamais, je ne revis ce petit garçon mais il m’avait dit: « Au revoir hein! », Au cours de la cinquantaine d’années qui nous séparent de cette rencontre, plus d’une fois, il est venu me «revoir», revisiter ma mémoire et me réchauffer le cœur.

Aujourd’hui, c’est le vase (façon Delft) de la Manufacture P. Legout à Maastrricht qui m’a remis en mémoire cette histoire vécue.

Le musée ne contient pas que des ou-tils. Les objets n’ont (pour moi) de valeur que parce qu’ils évoquent ...

J. Andrien

print Paru dans le n° 423 de urlBlegny Initiatives du 20 sept 2011

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien