Les tuyaux de vertu

Les tuyaux de vertu

Je l’aimais beaucoup, mon frère. Je le suivais partout, participant à toutes ses initiatives, ses inventions, ses élucubrations, ses fantaisies...

Ce jour-là, nous étions dans sa chambre au deuxième étage.

Un à un, il emboita les éléments de sa canne à pêche, fixa le moulin, passa dans les anneaux un fil qu’il lesta d’un plomb et au bout duquel il ligatura un hameçon de bonne taille.

- Aujourd’hui, pêche à la culotte! me dit-il.

De la fenêtre, on avait une vue plongeante dans la cour de la veuve voisine (qu’il savait absente) où pendaient quelques éléments de sa lingerie intime. à tâtons, il commença à taquiner l’objet de sa convoitise.

- Hourrah! Ca y est, j’ai une touche!

J’observais, amusé, les différentes péripéties du délit. Il moulina pour ramener à lui la longue culotte fendue qu’il oscillait vo -lontairement à la manière d’un drapeau. Cela nous amusait beaucoup. Mais c’était sans compter sur la prise en flagrant délit par nos grands-parents qui avaient assisté, surpris, ébahis, éberlués à la «lévitation» mystérieuse de la culotte.

Le jeu fut interrompu par les cris suraigus de ma grand-mère qui gravissait quatre à quatre les escaliers.

Trop tard pour dissimuler les éléments du méfait... La porte s’ouvrit brusquement. Ma grand-mère qui, d’habitude, s’adressait tou -jours à nous dans un français impeccable !

- «Må-honteûs, mârodj’dint, vårin, baligand, lèd mama qui v-èsez! Dij va v’can’dôzer...». (Ehonté, vaurien, bandit... et synonymes! Je vais vous rosser...)

èt zif èt zaf, èt pif è paf. Pètårds so pètårds; calotes so calotes sins nou rat’na. (gifles sans retenue).

Mon frère, les bras croisés sur la tête, tentait tant bien que mal d’amortir la rouée de frappes; tandis que moi, je restais figé dans mon coin.

Mon grand-père, arrivé avec un temps de retard, voulut tempérer le climat. - «Bah! Rosalie, c’èest des gamins hiin!» puis il pouffa. - «Vos deûx, fou d’chal!». (Vous deux, hors d’ici!)

Grand-papa me prit la main et alors que nous redescendions, nous fûmes dépassés par grand-maman furax, qui portait la culotte sur son bras...

Ensuite, de la fenêtre du premier étage, elle voulut relancer adroitement la culotte pour la reposer sur la corde à linge comme pour «gommer» l’événement... Mais celle-ci virevolta et alla s’échouer sur la mangeoire aux oiseaux fixée au mur et en contrehaut du fil.

Mon grand-père, qui avait assisté à la scène, ne put réprimer des éclats de rire intempestifs.

- Biesse qui t’es! (Stupide que tu es!)

Puis ce fut le mutisme total et la séparation jusqu’au lendemain. Moi, complice passif, jugé probablement irresponsable, je n’eus pas de sanction.

Lorsque j’ai demandé ce à quoi la voisine allait penser à la découverte de l’exode de sa culotte, j’ai cru que mon grand-père allait mourir de rire.

Et pourquoi cette photo? Et pourquoi ce titre? Observons la «boterèsse» (femme qui porte la hotte).

Placée sur un caniveau, elle soulève sa jupe et se soulage. On l’appelle la pisseuse. Cela ne pouvait se faire qu’à condition de n’avoir pas mis de culotte, voire d’en porter une fendue (à voir au musée). Ce n’est que bien plus

tard que je compris que cette culotte fut appelée parfois péjorativement «tuyaux de vertu». Compris ?

J. Andrien

print Paru dans le n° 427 de urlBlegny Initiatives du 24 jan 2012

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien