pinces

L'enclumette et le coffin

Ce jour-là, il faisait très beau ! Je reçus la visite d’une personne « avertie » qui connaissait bien le monde de la ruralité et pour cause: il était l’ancien cantonnier de la commune de Charneux. C’est qu’il en avait effectué des tâches différentes dans l’exercice de sa profession mais aussi de sa vie privée. Curer les caniveaux, faucher les bas-côtés des chemins, empierrer les voies carrossables, déneiger et sabler, tailler les haies, creuser les tombes... mais aussi réparer les chaussures, fabriquer ses manches d’outils, cultiver son jardin, élever des oiseaux... Vouloir en établir une liste exhaustive serait peine perdue.

D’emblée, la plupart des objets exposés évoquaient en lui des souvenirs précis d’expériences vécues... J’avais beaucoup de plaisir à l’écouter tant son langage était imagé et riche d’enseignement.

C’est pratiquement lui qui me servait de guide ! Et, cerise sur le gâteau, il s’exprimait dans un wallon régional truculent et châtié sachant à tout moment expliciter en français correct ce que je n’aurais pas compris.

Se saisissant de l’enclumette et du marteau de faucheur, il me demanda si je savais comment s’en servir ?

Ma réponse lui parut insuffisamment précise... Alors il m’invita à le suivre dans la prairie en emportant la faux, la clé de faux, l’enclumette et le marteau ainsi que le coffin et la pierre à aiguiser (photo).

Il retourna la faux et planta son manche verticalement dans le sol ; puis d’un coup de clé, il dissocia la lame de faux. Il s’assit les jambes écartées et « cloua » l’enclumette entre deux cailloux jusqu’aux volutes métalliques, sorte de crans d’arrêt, afin qu’elle puisse mieux « rendre le coup » lors du battage de la faux.

Il me fit remarquer qu’il existait deux sortes d’enclumettes à savoir celles dont la surface de battement est plate et qu’on utilise avec le « pène » du marteau ou les enclumettes à « pènes » lesquelles sont utilisées inversement avec le plat du marteau.

Après avoir fauché un certain temps, il arrivait que la lame de la faux soit émoussée par le contact inopiné de pierres ou de souches trop dures. Dans ce cas, l’affûtage n’était plus suffisant il fallait battre la faux. Cette opération consistait à étirer le métal afin d’amincir le taillant et d’en combler les petites déchirures. Opération très délicate qui nécessitait dextérité mais surtout beaucoup de pratique. Il ne fallait pas accentuer les ébréchures ni non plus de voiler la lame.

Joignant l’acte à la parole, il expliqua que la qualité du résultat n’était pas fonction de la force de frappe mais plutôt de sa régularité et de l’orientation du geste (frapper et simultanément tirer le marteau vers soi}.

La lame restaurée fut refixée sur son manche (toujours planté verticalement) puis il mima de l’affûter avec la pierre à aiguiser se trouvant dans le coffin. Mimer car normalement la pierre aurait dû tremper dans de l’eau additionnée de vinaigre afin d’en adoucir sa qualité trop abrasive.

(Sur la photo, on peut voir un coffin en bois mais il en existe de différentes sortes notamment celles réalisées à partir de cornes de vache, en métal, et même en ébonite...).

Plus d’une fois, j’allais bénéficier des enseignements de cet aimable visiteur... Merci Monsieur !

J. Andrien

print Paru dans le n° 473 de urlBlegny Initiatives de mars 2016

© Musée de la Fourche et de la Vie rurale - J. Andrien