Brouettes

La clé à crampons

-Viens ! Nous allons aller rechercher « Grise » qui est dans la prairie à quelques enjambées de la ferme.

Léon, le fermier, se saisit alors d’une corde terminée par une boucle, de quoi faire une sorte de lasso.

Chemin faisant, il m’expliqua que nous allions aller récupérer les bûches tronçonnées les jours précédents...

A l’approche de la barrière, il s’adressa alors à son cheval : « Bonjour, Grise ! Aujourd’hui nous allons travailler dans le bosquet... As-tu respiré le bon air ? As-tu bien mangé ? T’es-tu bien reposée ? Je suis en compagnie de Joseph avec qui tu vas faire connaissance... »

Ces paroles ont fait dresser les oreilles de la jument qui alors s’est retournée et s’est approchée spontanément de nous.

- N’oublie jamais, Joseph, qu’il ne faut pas entrer dans une pâture où se trouve un cheval sans avoir attiré son attention ! Car un cheval surpris pourrait avoir des réactions brusques extrêmement dangereuses. (Je ne l’ai jamais oublié et en ai fait part le plus souvent possible).

La jument, habituée, s’approcha de Léon qui la caressa gentiment, puis lui passa la corde autour de la tête à la manière d’un licou. J’ai pu alors lui caresser le nez, me laisser sentir et lui gratter le chanfrein.

De retour à la ferme, Léon se mit à harnacher l’animal, puis à l’atteler au tombereau ; toujours en lui parlant.

L’accès du petit bois n’était pas très aisé, le chemin pentu avait de profondes ornières détrempées par les pluies des jours précédents.

En fin de journée, la charrée de bûches dépassait les ridelles ; tant qu’à faire nous avions surchargé le tombereau pour éviter un second voyage.

Oui !... Mais il fallait sortir du bois et gravir le raidillon...

Alors, Léon détela sa jument, ouvrit le petit caisson fixé au tombereau et se saisit de crampons et d’une clé un peu particulière (photo).

Avec la pointe de la clé, il cura l’endroit des fers où les crampons devaient prendre place ; avec le taraud de la clé, il (re)fileta le fer et enfin il choisit la mâchoire correspondant à la dimension des crampons à fixer.

A chaque opération, Grise restait imperturbable se laissant manipuler les jambes et les pieds arrière.

Avec ses sabots maintenant munis de crampons, Grise reprit place dans les bras du tombereau. Léon, s’adressant au cheval :

- Grise ! Il va falloir faire un gros effort, ce ne sera pas long, mais il faudra tenir bon. Je resterai près de toi pour t’encourager et je t’aiderai dans la mesure de mes moyens...

- Quant à toi Joseph, tu resteras derrière les roues et tu pousseras le tombereau de toutes tes forces !

- Tu es prête Grise ? - Allez !... Allez Grise ! Hue ! Hue ! Yaaaah ! Yaaah ! Tire ! Tire nom did’ju !... Encore! Encore !...

- Pousse Joseph ! Pousse !...

Au plus il « invectivait » son cheval, au plus sa voix était criarde et rageuse... mais au plus il restait solidaire à l’effort fourni, car, s’étant saisi d’une chaîne, il trinquait tout autant...

Grise avait compris les intentions de son maître et voulait lui donner satisfaction. Grâce aux crampons qui l’empêchèrent de glisser, Grise sut mener à bien sa tâche.

A la sortie du bois, l’attelage retrouva la route carrossable.

Tout le monde put reprendre son souffle. - Bravo ! Grise... Tu es une brave !... Repose-toi un moment !

Tout en lui parlant, Léon lui tapotait l’épaule ou lui caressait le nez.

Et moi, j’étais fier de l’avoir un peu aidée en poussant !

J. Andrien

print Paru dans le n° 480 de urlBlegny Initiatives dz novembre 2016

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