Marmite à frites

La marmite à frites

C’était toujours le jeudi que tante Jeanne venait nous rendre visite car l’après-midi nous avions congé à l’école. Elle aimait beaucoup les enfants et voulait profiter de notre présence.

A chaque fois, elle nous apportait des bonbons qu’elle avait achetés au SARMA de Liège, le magasin qui à l’époque était réputé le moins cher.

Ils avaient un drôle d’aspect, ces bonbons ; ils étaient grisâtres et tout plaquants, s’agglutinaient les uns aux autres et maculaient de taches grasses le sachet en papier gris dans lequel on les avait pesés.

C’est qu’elle n’était pas trop riche tante Jeanne ; les sucreries qu’elle nous apportait n’étaient pas toujours de première fraicheur ni de très bonne qualité mais cela n’empêchait pas que l’on était très heureux de les rece- voir et même de les déguster tant ils nous étaient offerts avec affection et générosité.

Afin que sa présence ne soit pas une surcharge, elle participait activement aux tâches ménagères en aidant ma maman {mère de huit enfants) à la préparation du repas et même à l’entretien de la maison...

Ce jeudi-là, c’est tante Jeanne qui avait épluché les pommes de terre puis découpé celles-ci pour en faire des frites. Sur la cuisinière maman avait posé la lourde casserole en fonte et à fond arrondi {voir photo) juste au dessus du feu en lieu et place du couvercle du poêle ; la casserole allait ainsi recevoir directement le rayonnement du foyer et bénéficier d’une meilleure stabilité.

La pâte blanche constituée de graisse de bœuf additionnée de saindoux allait fondre pour se transformer en un liquide d’aspect oléagineux qui sera porté à ébullition.

Après double cuisson, les frites croustillantes arriveront dans nos assiettes pour être dévorées.

- « Je n’ai pas oublié la saveur de ces bonnes frites ».

Après le repas et la vaisselle, tante Jeanne s’occupait de nos devoirs, nous racontait une histoire ou jouait avec nous... Que de bons souvenirs !

Le soir venu, elle nous quittait sans oublier de nous câliner...

Mais juste avant de partir, elle voulut rendre encore un dernier service en rangeant la casserole à frites sur l’étagère...

On ne saura jamais pourquoi, ni comment, mais la casserole a basculé sur elle...

Ses hurlements et le vacarme produit par la chute du récipient alertèrent toute la famille qui accourut aussi- tôt... Heureusement plus de peur que de mal, la graisse légèrement tiède n’avait causé aucune brûlure et la cas- serole aucune blessure.

A peine remis de nos émotions, notre réaction fut de plonger dans une hilarité incontrôlable. Et plus nous riions et plus tante Jeanne avait une mine sûre et maussade. Ce n’est qu’après « dégrisement » que l’on porta assistance à notre tante. Sa nouvelle robe noire du SARMA était toute grasse et maculée de pastilles auto- collantes blanches constituées de blanc de bœuf et de saindoux « recoagulé ».

Impossible de reprendre la route dans une telle tenue. Maman de taille plus mince n’aurait pas pu lui prêter une de ses robes... C’est alors qu’on lui passa un tablier enfilé par devant et un autre par l’arrière... Ainsi affublée, elle put regagner ses pénates. Mon père, frère de tante Jeanne, n’a jamais pu s’arrêter de rire à gorge dé ployée, de se dilater la rate, de rire aux larmes pendant toutes les péripéties qui ont suivi la chute de la casserole...

Aujourd’hui, bien des décennies plus tard, le souvenir de tante Jeanne nous fait encore sourire.

(Propos rapportés par mon épouse.)

J. Andrien

print Paru dans le n° 482 de urlBlegny Initiatives de janvier 2017

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