Valise

Vol à la valise...

J’ai oublié pourquoi mon frère s’était estimé injustement puni...

Ma grand-mère, furibonde, lui avait enjoint de monter dans sa chambre au deuxième étage et de ne pas en sortir jusqu’à nouvel ordre. Elle était restée sourde aux justifications que mon frère tant bien que mal avait voulu lui exposer. Pas question pour moi d’aller le rejoindre.

Des larmes dans les yeux, mais sans gémir, il avait dû se soumettre à la sentence.

Moi, le cœur gros, j’assistais impuissant à la situation.

Le soir venu, il refusa de venir souper et déclara qu’il entamait une grève de la faim.

Cette déclaration n’allait pas émouvoir ma grand-mère.

- « La faim arrivera bien à faire sortir le loup du bois » avait-elle dit.

Le lendemain matin, de nouveau mon frère refusa de venir déjeuner; à midi, toujours crâneur, il ne se présenta pas à table.

Alors que je jouais seul dans le jardin, j’entendis la voix de mon frère qui m’appelait par l’œil-de-bœuf du pignon de la maison.

- « Joseph, j’ai faim, va ma chercher une tartine ! »

Mon frère avait de l’ascendant sur moi; je me sentais obligé de lui obéir... Mais comment faire? Je ne savais pas couper le pain. - « Il y a du fromage à la cave, dans le garde-manger. Coupe-moi un morceau... »

J’étais très mal à l’aise, car il me demandait de «voler» de la nourriture.

Profitant de la sieste de ma grand-mère, j’avais sorti le pain de sa boite et avais tranché un gros quignon. Dans la cave, ce ne fut pas chose facile, car le garde-manger était suspendu au plafond ; j’étais trop petit. Alors que je prenais appui sur la tablette où se trouvait la cloche à fromage, le garde-manger se mit à pendouiller dans tous les sens, rendant le prélèvement périlleux.

Autrefois, pas de frigo ; l’endroit le plus frais de la maison était souvent la cave.

Les aliments étaient placés dans un garde-manger (photo) muni d’un fin treillis pour faire barrage aux insectes et suspendu au plafond pour empêcher les souris d’y accéder. Le fromage était sous une cloche de verre.

Juste au pied du mur, mon frère avait laissé descendre une petite valise (photo) dans laquelle j’avais pu glisser le résultat de mon butin.

Le soir, lors du repas, mon grand-père me souffla doucement à l’oreille avec un sourire entendu : « Tu manges bien, toi Joseph ! ». Je compris alors que j’avais un complice.

Quelques heures plus tard, une nouvelle fois, je fus interpellé par mon frère qui m’enjoignit d’aller chaparder du jambon. Cette fois je n’eus aucune difficulté pour trancher le jambon car je m’aperçus que deux belles tranches étaient là comme préparées pour moi... et la même chose pour le pain.

Je ne me souviens plus non plus de la fin de l’histoire. Après amende honorable de ma grand-mère, lorsque le calme fut revenu, mon frère fut reconnu pour son opiniâtreté, et moi, félicité pour ma solidarité

J. Andrien

print Paru dans le n° 452 de urlBlegny Initiatives d'avril 2014

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