Carillon

Le carillon (Les campes)

- « Allez, les gamins ! Allez jouer plus loin ! »

Mais qu’étaient-ils en train de faire ces deux hommes derrière le haut mur de pierre qui jouxtait l’église ?

Intrigués et quelque peu effrontés, nous faisions mine de nous éloigner pour nous rapprocher aussitôt.

Les hommes avaient tracé une longue ligne droite avec de la sciure; puis ils commençaient à disposer de petits parallélépipèdes métalliques munis d’un trou sur le dessus et d’une lumière à la base. L’alignement précis était régi par un cordeau et l’écart entre ces petites boîtes était régulé par une mesure reportée à chaque pose et toutes les lumières étaient orientées dans le même sens...

Nous fûmes à nouveau repérés par les hommes ; ceux- ci se firent plus véhéments.

Le regard méchant et le doigt menaçant, ils nous enjoignirent de nous mettre à l’abri :

- « Allez vous mettre au-delà des arbres, ici c’est dangereux ! Et ne revenez plus, sinon... »

Cette fois, nous avions compris que quelque chose allait se passer, mais quoi ? Alors, nous avions choisi un nouveau poste d’observation respectant les consignes relatives à la sécurité.

Il y en avait beaucoup de ces petites boîtes. Au bout de la ligne, on pouvait voir trois gros cônes tronqués également munis d’un trou vers le haut et aussi d’une lumière à la base. Ceux-ci étaient espacés d’une distance nettement plus grande que les petites boîtes.

Un des hommes, à l’aide d’un petit récipient cylindrique en zinc muni d’un couvercle en forme d’entonnoir (la cabolette) allait verser de la poudre en gros grains de manière continue en ayant soin de passer tout contre les lumières de chaque boite.

Je ne sais pas pourquoi nous n’y étions pas, mais nous entendions les chants des fidèles qui accompagnaient le Saint-sâcrement lors de la procession paroissiale. Juste avant de rentrer à l’église, le curé fit une dernière bénédiction à l’aide de l’ostensoir...

Peu de temps après, toujours de notre observatoire, nous avons vu un des hommes ( Li foumieu ) allumer une mèche à l’extrémité d’une perche; puis, regardant en direction du parvis de l’église il semblait attendre un signal...

L’allumeur ( Li boutt’feu ) posa alors la flamme au ras du sol, ce qui eut pour conséquence d’embraser la poudre dont l’incandescence allait se propager rapidement à chaque boîte, provoquant une pétarade assourdissante... Bien que suffisamment éloignés, nous avions fait un bond en arrière. Nous étions fascinés tant par le spectacle visuel des gerbes de feu propulsées de chaque boîte que par le bruit qui provoquait en nous des frémissements finalement agréables.

Le silence revenu ne fut pas de longue durée, les trois dernières détonations allaient nous abasourdir et nous faire ressentir des vibrations au niveau des jambes, car le sol avait tremblé.

Des cris d’allégresse et des applaudissements allaient encore précéder le retour au calme.

C’est le souvenir de mon premier tir de campes!

Quel drôle de mot que celui de «campe», je ne l’ai même pas vu au dictionnaire... Il s’agit sûrement d’un mot wallon; d’ailleurs on parle parfois de «tchambes» ce qui veut dire chambre. (Je ne peux m’empêcher, ici, de penser à chambre de combustion). Jean Haust traduit ce mot par boîte d’artifice et le commente de l’expression « fé pèter les tchambes al fièsse ».

Encore plus drôle, c’est que le tir aux campes s’apparente au mot carillon ; or la plupart d’entre nous associent carillon aux sons mélodieux produits par les cloches. Au sens figuré, carillonner veut dire faire grand bruit et concrètement donc alors ?

Dès carilioneûs... « C’est lès cis d’Héve, les mèyeus pèteus ». (Des carillonneurs, ce sont ceux de Herve les meilleurs «pétaradeurs». Je me suis permis ce néologisme plutôt que de le traduire par «pêteur»).

Je remercie Monsieur Paul Zinnen, carillonneur de Herve, pour l’accueil qu’il ma réservé, pour la documentation qu’il m’a transmise et le don qu’il a fait au musée. Pour plus d’infos, rendez-vous au musée.

J. Andrien

print Paru dans le n° 454 de urlBlegny Initiatives de juin 2014

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